J’ai mal à un rêve européen…

L’actualité m’oblige à revenir sur un sujet que j’ai déjà abordé dans le numéro précédent de l’Echo du Citoyen. Je veux parler, bien sûr, de l’arrivée sur le territoire de l’Union Européenne de centaines de milliers de personnes qui fuient des pays ravagés par la guerre, ou soumis à d’impitoyables dictateurs ou en perdition économique – souvent d’ailleurs les trois à la fois. Je vais m’efforcer de répondre à quelques questions simples.

L’Europe est-elle victime d’une invasion ?

Les partis d’extrême-droite l’affirment crûment, des médias le laissent entendre ou le font croire, des citoyens – et pas des moindres, n’est-ce pas, Monsieur De Wever – s’inquiètent publiquement. Regardons la réalité en face. Selon le HCR – Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés – l’immense majorité des réfugiés dans le monde (plus de 80%) sont accueillis dans des pays d’Asie ou du Proche-Orient. Ainsi, actuellement, plus de 4 millions de Syriens sont réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie, trois pays économiquement moins bien lotis que ceux de l’espace Schengen.

Est-ce à dire, pour autant, que l’afflux actuel est un phénomène passager et marginal ?

Certainement pas. On prévoit qu’il y aura pour cette seule année 2015, quelque 800.000 personnes qui viendront chercher refuge dans les pays de l’Union Européenne. En chiffre absolu, c’est un nombre impressionnant. Mais, en pourcentage de la population de l’Union Européenne qui est de 500 millions, cela représente 0,16%. Au rythme actuel, il faudrait donc plus de 60 ans pour que les nouveaux arrivants représentent 10% de la population européenne !! Arrêtons, SVP de prêter attention aux faux prophètes de la peur et de la haine.

Faut-il répartir les réfugiés ?

A l’évidence oui, même si certains pays dont la Hongrie du sinistre Viktor Orban ne veulent pas en entendre parler. Jusqu’à présent, le traitement des demandes d’asile est régi par le fameux règlement de Dublin. Ce règlement prévoit expressément que c’est le pays par lequel le candidat réfugié a mis les pieds sur le territoire européen qui doit traiter sa demande et en assumer la charge. Tant que les réfugiés arrivaient par petits groupes, en ordre dispersé, ce système a fonctionné vaille que vaille. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Comment l’Italie pourrait-elle, seule, traiter et prendre en charge les plus de 130.000 arrivants débarqués sur ses côtes depuis janvier ? Et la Grèce, dans l’état pitoyable qui est le sien, accueillir 400.000 réfugiés ? Et la Hongrie plus de 100.000 ? D’autant que les candidats réfugiés ont pour la plupart une idée précise du pays où ils souhaitent aller.

C’est donc à raison que la Commission européenne a signé l’acte de décès du règlement de Dublin en proposant de « relocaliser » 160.000 demandeurs d’asile dans l’ensemble des pays de l’Union. Chacun devra prendre sa part et celle de notre pays n’excède pas nos moyens.

Y-a-t-il une politique européenne d’asile ?

En principe oui. Depuis le Traité d’Amsterdam en 1997, l’asile est une compétence européenne et plusieurs directives ont été prises pour mettre en œuvre « un régime d’asile européen commun ». En pratique, il n’y a pas vraiment de régime commun. Selon le pays qui traite leurs demandes, les réfugiés ont des chances totalement différentes d’être reconnus : un Irakien, par exemple, a 94% de chances d’être admis dans tel pays, alors que dans tel autre, ses chances tombent à 13%.

En outre, il n’y a pas d’harmonisation réelle quant aux procédures ni quant aux conditions offertes aux demandeurs. Certains pays traitent les demandes avec célérité (quelques semaines), d’autres ont besoin de plusieurs mois. Dans certains pays, les demandeurs obtiennent tout de suite le droit de travailler, tandis que dans d’autres, il leur faut attendre 6 ou 9 mois, restant ainsi plus longtemps à charge des systèmes de protection sociale. Il en va de même pour l’étendue du regroupement familial, pour le montant des aides nancières reçues, pour l’exercice de la liberté de circulation.

En un mot comme en cent, tous les pays de l’Union Européenne font face à un même dé mais ils ne sont pas capables de le traiter solidairement en respectant des règles communes. J’ai mal à un rêve européen.

 

(Edito / Le mot de Gérard Deprez / Publié dans l’Echo du Citoyen n°72)



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